Portrait
robot
Grandes lignes :
Cours en 2 parties autour du portrait. Reconstruction d'identités
à partir d'éléments fragmentaires (objets, textes,
photos) invention de scénarios, d'hypothèses et au final,
retranscription de manière "plastique" adéquate
avec le propos, l'identité construite.
>phase0
>>phase1
>>>phase2
/
>Phase
0 (amorce)
La semaine précédant le lancement du cours, les étudiants
auront eu à apporter des documents sur des artistes contemporains
ayant traité la question de l'identité. Chacun aura à
présenter son document et une ébauche de typologie commencera
à se dégager.
Phase 1 (démarreur)
Phase
0 ->>---<>>>__>>_>>> sur 12 étudiants,
6 ont apportés des documents, et certains plusieurs. Je fais le
médiateur plus que le commentateur, sans trop de difficultés,
les étudiants commentent les uvres et, ensemble, nous les
classons en 3 tas.
1/ uvres sur l'idée même d'identité (Opalka).
2/ uvres dont un des ressorts est l'identité (boltanski).
3/ uvres dont le seul rapport à l'identité se fait
par l'entremise de la prégnance de l'auteur (Schiele).
Il a été convenu que le troisième type de documents
s'éloignait trop de la demande dans la mesure où il est
possible d'appliquer cette caractéristique (prégnance) à
toute uvre.
>>phase1
Objectifs
:
-L'étudiant doit être capable de jouer avec différents
codes et registres de représentation avant d'aboutir à une
finalisation.
-L'étudiant réalisera l'importance de la nature et du contexte
de l'information qui lui est transmise, et par là la sujectivisation
qui en découle.
Évaluation
:
-Ce travail est un avant-propos, une entrée en matière pour
la suite. Il est effectué sur un laps de temps très court
et à pour objectif plus une familiarisation avec un processus qu'une
acquisition de notions permettant une évaluation notée.
-La hiérarchisation des travaux se fera par le biais de phases
de discussions ou le professeur mettra l'accent sur les travaux révélant
une pertinence particulière.
Dispositif
:
-Les élèves sont en couple 2 par 2.
-Il y à un narrateur et un enquêteur.
-L'enquêteur dispose d'outils de représentation 2d (outils
graphiques et/ou picturaux, supports papier
)
Demande
:
a- Le narrateur doit décrire à l'enquêteur une personne
qui lui est proche (parent, ami
). Cette description doit être
exclusivement sensitive, émotionnelle (traits de caractère,
habitudes, anecdotes, histoire
).
l'enquêteur, quant à lui, doit tenter, en suivant les indications
d'aboutir à une représentation de la personne décrite
sous la forme d'une série de croquis, dessins, compositions la
plus diversifiée possible.
b- Le narrateur doit décrire à l'enquêteur une personne
qui lui est proche (parent, ami
). Cette description doit être
exclusivement formelle, (proportion du visage, teinte de peau, signes
particuliers, cheveux
).
L'enquêteur, pour sa part doit tenter, en suivant les indications
d'aboutir à une nouvelle représentation sous la forme d'une
série de croquis, dessins, compositions la plus diversifiée
possible.
c- On inverse les rôles
d- Entre chaque phase de travail, on se réunit et chacun présente
la personne qu'il a eu à représenter. On commente les processus
qu'il a employés.Commentaires :
Phase
1 ->><<<___>--<-_<-<<<<>>>>>
l'exercice a été réalisé en 2h30. Cette courte
durée permis d'aboutir à une certaine spontanéité
des gestes et des schémas de pensée. Toutefois certains
se sont (malgré les encouragements du professeur) bornés
à n'utiliser qu'un processus graphique pour rendre compte de la
description.
L'utilisation du pictogramme fut utilisée par plusieurs élèves.
À mesure que la description s'égrainait, une litanie de
pictos envahissait le format.
Quelques-uns se contentèrent (donc) de ne produire qu'un format
pour toute la description. Il fut accordé que ce type de retranscription
ne pouvait avoir d'intérêt (au vu des consignes données)
que dans la mesure ou la totalité des étapes pouvait être
visible, une sorte de chrono portrait par strates. Dans cette idée,
à noter le travail très intéressant d'une étudiante
qui, au fil de la description, et pour chaque caractéristique,
tenta de représenter un visage au trait sur papier rhodoïd,
la superposition de l'ensemble créant un malstrom indéchiffrable,
image de ce que serait un individu inconnu et basculement tout à
fait pertinent entre une vision de l'indicible (le caractère de
quelqu'un) et le portrait au sens ou on l'entend communément, c'est-à-dire
une représentation plus ou moins fidèle de l'apparence de
quelqu'un.
>>>Phase 2
Objectifs
:
-L'étudiant doit être capable de construire un univers cohérent
à partir de données fragmentées.
-L'étudiant doit, pour cela être capable de déployer
son imagination en s'appropriant les éléments qui lui sont
donnés. Il doit également pouvoir construire des scénarios,
des séquences.
-L'élève doit être capable de présenter sa
démarche de manière claire et pertinente par rapport à
ses choix plastiques.
Évaluation
:
-Cohérence de l'univers construit, des scénarios envisagés.
-Qualité et richesse de la recherche.
-Pertinence de la prestation orale et stratégie d'exposition.
Dispositif
:
-les élèves travaillent individuellement.
-Le professeur à amené tout un nombre important de documents
(textes, livres, photos, objets en tout genre, tickets de caisses, accessoires,
instruments de mesure, magnétocassette, cassette VHS
). Les
documents sont disposés sur des tables, plus ou moins rangés
par catégorie. Ces objets sont présentés comme des
"objets trouvés".
-Première phase d'observation des documents, réponse aux
questions éventuelles sans dévoiler le but du sujet.
-Chacun à leur tour, les étudiants choisissent un objet
(sans que rien de plus leur ait été dit sur le sujet), et
on tourne jusqu'à ce qu'il ne reste plus (ou peu) d'objet sur les
tables (au prof de juger si la quantité d'objet choisis par chacun
suffira à la suite des évènements
).
-Une fois que chacun à son "set" d'objets, le professeur
explique aux étudiants le sujet (reconstitution d'une identité
à partir des objets), phase de discussion.
-Phase d'échange des objets entre les étudiants. À
- partir d'un certain moment, le professeur interrompt les tractations
et demande aux élèves de se fixer sur un choix d'objets.
-Les étudiants commencent les recherches.
demande :
-Une fois les "sets" d'objets constitués, il est demandé
aux étudiants d'en faire un inventaire graphique. S'en suit une
présentation orale.
-Alors, il est demandé aux étudiants de reconstituer une
identité hypothétique en liant les objets entre eux. Chaque
set appartiens à un individu dont ils doivent reconstituer un parcours,
un scénario de vie.
-Au final il est demandé aux étudiant de préparer
une retranscription plastique de cet individu, un dispositif dévoilant
l'identité qu'ils auront construit.
Pour cela, ils auront à s'appuyer sur des ressorts du type :
une séquence de vie
une biographie
un événement, un acte passé ou futur
nostalgie
poétique de l'absence
témoignage d'un événement
>quelques
travaux--- --- --- ---
>documents
>1/sujet
tel qu'il fût proposé aux étudiants
portrait
robot
"il n'arrive d'histoires qu'à ceux qui savent les raconter".
Paul Auster in "Léviathan".
"la
réalité c'est ce qui, quand on cesse d'y croire, ne s'en
va pas".
Philip K. Dick in "si ce monde vous déplaît
"
phase
1 : inventaire
il vous est demandé d'effectuer un inventaire graphique des objets
que vous aurez sélectionnés. cette inventaire se fondera
sur une analyse approfondie de chacun de vos objets (forme, fonction,
état général, annotation diverses
) et aboutiras
à un classement méthodique. libre à vous de choisir
la méthode qui vous semblera la plus judicieuse pour procéder
à ce classement.
au final, il est demandé une intervention orale, une présentation
de votre inventaire.
phase 2 : construction d'une identité
il vous est demandé de reconstituer une identité hypothétique,
d'un univers cohérent, à partir des fragments dont vous
disposez. pour cela, vous aurez à déployer votre imagination
(débordante, je n'en doute pas un seul instant
) afin de construire
un scénarios de vie, un parcours, une séquence
au final, il est demandé
1/de mettre en forme par des moyens plastique (picturaux et/ou volumiques/spatiaux
et/ou sonores) l'individu que vous aurez construit. ces moyens seront,
cela va de soi, choisis entant qu'ils sont les plus appropriés
à porter votre propos, qu'ils sont cohérent avec les intentions
qui sous-tendent votre travail.
2/cette réalisation finale sera accompagnée par un livret
ou une série de planches faisant état des étapes
ayant précédé la réalisation ainsi que d'un
texte résumant vos intentions.
3/la préparation d'un oral présentant votre projet de la
première à la dernière étape. l'accent étant
porté, non-seulement sur la qualité et la cohérence
de votre discours, mais également sur la manière, les conditions
dans lesquelles vous aurez choisit de le tenir, votre stratégie
d'exposition.
>2/liste
des objets proposés
- guirlande lumineuse
- cagoule de malfaiteur
- 2 paquets de mouchoirs nippons
- paire de gants blancs en coton
- masque de monstre
- disque 45 tours ("Lollipop" de Noam)
- 4 tampons (ACTIONS, NON VALABLE pour exécution, NON VALABLE pour
exécution)
- loupe
- cassette vidéo
- téléphone portable japonais (modèle TU-KA)
- plan de Padoue (Italie)
- masque médical
- mouchoir en tissu
- pot de vernis à ongles (couleur cerise)
- (faux) pistolet Beretta
- alarme portative (gadget)
- lampe de poche
- assortiment de pétards
- masque de Super Héros
- verres grossissants
- appareil photo et sa gaine en cuir
- appareil photo 6.6
- objet artistique d'assemblage (moules à madeleine)
- poisson en plastique orange
- 3 tubes de produits cosmétiques
- mini console de jeux
- canif
- petit dictaphone avec cassette vierge
- 2 dépliants touristiques (Vancouver, Madrid)
- visionneuse de diapos
- livret sur la grotte de cocaliere
- carte d'abonné Tsutaya et sa publicité pour montre Casio
- petite boite chinoise
- boite à rythme ludique
- livres ( "Cervantes", édition italienne ; "Théâtre"
de Vladimir Maïakovski, édition Les Cahiers Rouges ; "le
Guide marabout du kung fu et du Tai ki" ; "un talent mortel"
de Laurie King, éd. pocket ; "Féminisme et socialisme
aus Etats-Unis" de Francoise Le Calvez, éd.10/18 ; recueil
de poèmes "Résidence sur la terre" de Pablo Neruda,
éd. Poésie/Gallimard ; "Comment réaménager
notre Russie" de Alexandre Soljénistyne, éd.Fayard)
- casquette en cuir
- prothèse dentaire
- tondeuse pour poils de nez (gadget japonais)
- crayon tampons japonais
- assortiment japonais (pansement, ticket de métro, puri kula,
deux pièces de 10 yens, 1 yen, 100 yens, deux pièces de
5 yens, jeton de 100 yens)
- photo de têtes de poulets.
- photo flou artistique.
- photo quai du RER.
- photo peigne.
- photo jeune garçon.
- petite photo nb d'une classe de primaire.
- photo issue de secours.
- photo du musée des poupées.
- photo autoroute
- photo champ de terre.
- photo trois amies sur la dune.
- photo goûter d'anonymes.
- photo portrait sur canapé.
- photo portrait flou.
- photo Rémi en yakusa.
- photo sandwich.
- série de 6 photos nb mal développées
- 2 panoramas nb
- photos églises (X5)
- fragments de photos nb (X11)
- photo tigre nb
- photo San Francisco
- photos vacances (X5)
- photos asile (X12)
- photos pavillon (X3)
- petite lampe néon
- 2 plans de ville (Strasbourg, Lille)
- assortiment de monnaies italiennes (1 billet, 2 pièces)
- pochette d'allumettes vide
- petit carnet de feuilles vierges
- carnet Muji
- jeu de cartes divinatoires avec boîte
- livres en langue étrangère (histoires japonaises ; livrets
de musique de Bach ; "The London Mystery Magazine")
- cadre de photo et sa photo
- 2 boîtes de paires de faux cils
- porte-clé israélien avec clé
- ticket d'entrée pour le Salon international du livre et de la
presse
- 2 briquets customisés
- échantillon de poudre de maquillage
- mini boîte à couture
- lettre manuscrite
- cache yeux
- fils électriques
- boîtes de préservatifs
- petites boîtes (bonbons japonais, allumettes japonaises) avec
pièce de 1 yen
- carte bancaire Sumitomo et facture
- cartes japonaises (de métro, meshi)
- cartes japonaises (meshi d'un restaurant, facture, ticket d'entrée
au batting center)
-5pièces allemandes (90 pfennig).
-2 paquets de cigarettes étrangers (lithuanien et chine).
>3/textes
lus et distribués aux étudiants
"
Quels sont les signifiés de ces systèmes d'objets, quelles
sont les informations transmises par les objets ? Ici on ne peut faire
qu'une réponse ambigüe, car les signifiés des objets
dépendent beaucoup non pas de l'émetteur du message, mais
du récepteur, c'est-à-dire du lecteur de l'objet. En effet,
l'objet est polysémique, c'est-à-dire qu'il s'offre facilement
à plusieurs lectures de sens : devant un objet il y a presque toujours
plusieurs lectures qui sont possibles, et cela non seulement d'un lecteur
à un autre, mais aussi, quelquefois, à l'intérieur
d'un même lecteur."
(ROLAND BARTHES, L'aventure sémiologique, 1979)
Les
objets, cela ne devrait pas toucher, puisque cela ne vit pas. On s'en
sert, on les remet en place, on vit au milieu d'eux : ils sont utiles
rien de plus. Et moi, ils me touchent, c'est insuportable. J'ai peur d'entrer
en contact avec eux tout comme s'ils étaient des bêtes vivantes.
(JEAN-PAUL SARTRE, La nausée, 1938)
Une
nuit, nous flânions dans une longue rue sale, avoisinant le Palais-Royal.
Nous étions plongés chacun dans nos propres pensées,
en apparence du moins, et depuis prés d'un quart d'heure, nous
n'avions pas soufflé une syllabe. Tout à coup Dupin lâcha
ces paroles :
--Cest un bien petit garçon, en vérité ; et
il serait mieux a sa place au théâtre des Variétés.
--Cela ne fait pas I'ombre d'un doute, -- répliquai-je sans y penser
et sans remarquer dabord, -- tant j'étais absorbé,
-- la
singulière façon dont linterrupteur adaptait sa parole
~ ma propre rêverie. Une minute après, je revins à
moi, et mon étonnement fut
profond.
--Dupin, -- dis-je, très gravement, -- voilà qui passe mon
intelligence. Je vous avoue, sans ambages, que j'en suis stupéfié,
et que j'en peux à peine croire mes sens. Comment a-t-il pu se
faire que vous ayez deviné que je pensais à... ? -- Mais
je m'arrêtai pour m'assurer indubitablement qu'il avait réellement
deviné à qui je pensais.
-- À Chantilly? -- dit-il ; -- pourquoi vous interrompre ? Vous
faisiez en vous-même la remarque que sa petite taille le rendait
impropre à la tragédie.
Cétait précisément ce qui faisait le sujet
de mes réflexions. Chantilly était un ex-savetier de Ia
rue Saint- Denis qui avait la rage du théâtre, et avait abordé
le rôle de Xerxès dans la tragédie de Crébillon
: ses prétentions étaient dérisoires ; on en faisait
des gorges chaudes.
-- Dites-moi, pour lamour de Dieu ! la méthode, -- si méthode
il y a, -- à I'aide de laquelle vous avez pu pénétrer
mon âme, dans le cas actuel !
En réalité, jétais encore plus étonné
que je n'aurais voulu le confesser.
Cest le fruitier, -- répliqua mon ami. -- qui vous a amené
à cette conclusion que le raccommodeur de semelles n'était
pas de taille à jouer Xerxès et tous les rôles de
ce genre.
-- Le fruitier ! vous m'étonnez ! je ne connais de fruitier daucune
espèce.
-- L'homme qui s'est jeté contre vous, quand nous sommes entres
dans la rue, -- il y a peut-être un quart dheure.
Je me rappelai alors qu'en effet un fruitier, portant sur sa tête
un grand panier de pommes, mavait presque jeté par terre
par maladresse, comme nous passions de la rue C... dans lartère
principale où nous étions alors. Mais quel rapport cela
avait-il avec Chantilly? Il m'etait impossible de m'en rendre compte.
II n'y avait pas un atome de charlatanerie dans mon ami
Dupin.
-- Je vais vous expliquer cela --, dit-il, -- et pour que vous puissiez
comprendre tout tres clairement, nous allons dabord reprendre la
série de vos réflexions, depuis le moment dont je vous parle
jusqu'à la rencontre du fruitier en question. Les anneaux principaux
de la chaîne se suivent ainsi : Chantilly, Orion, le docteur Nichols,
Epicure, la stéréotomie, les pavés, le fruitier.
Il est peu de personnes qui ne se soient amusées, à un moment
quelconque de leur vie, à remonter le cours de leurs idées
et à rechercher par quels chemins leur esprit était arrivé
à de certaines conclusions. Souvent cette occupation est pleine
dintérêt, et celui qui I'essaie pour la première
fois est étonné de lincohérence et de la distance,
immense en apparence, entre le point de départ et le point
Darrivée.
Qu'on juge donc de mon Etonnement quand j'entendis mon Français
parler comme il avait fait, et que je fus contraint de reconnaître
qu'il avait dit la pure vérité.
Il continua :
Nous causions de chevaux, -- si ma mémoire ne me trompe pas, --
juste avant de quitter la rue C... Ce fut notre dernier thème de
conversation. Comme nous passions dans cette rue-ci, un fruitier, avec
un gros panier sur la tête, passa précipitamment devant nous,
vous jeta sur un tas de paves amoncelés dans un endroit où
la voie est en réparation. Vous avez mis le pied sur une des pierres
; vous avez glissé ; vous vous êtes
légèrement foulé la cheville; vous avez paru vexe
; grognon ; vous avez
marmotté quelques paroles ; vous vous êtes retourné
pour regarder le
tas, puis vous avez continué votre chemin en silence. Je nétais
pas
absolument attentif a tout ce que vous faisiez ; mais pour moi
lobservation est devenue, de vieille date, une espèce de
nécessité. Vos yeux sont restés attachés sur
le sol, -- surveillant avec une espèce
dirritation les trous et les ornières du pavé (de
façon que je voyais bien
que vous pensiez toujours aux pierres), jusqu'à ce que nous eûmes
atteint le petit passage qu'on nomme le passage Lamartine, où I'on
vient
de faire lessai du pavé de bois, un système de blocs
unis et solidement assembles. Ici votre physionomie s'est éclaircie,
j'ai vu vos lèvres remuer, et j'ai deviné, à n'en
pas douter, que vous vous murmuriez le mot stéréotomie,
un terme appliqué fort prétentieusement à ce genre
de pavage. Je savais que vous ne pouviez pas dire stéréotomie
sans être induit à penser aux atomes, et de là aux
théories d'Epicure ; et, comme dans la discussion que nous eûmes,
il n'y a pas longtemps, à ce sujet, je vous avais fait remarquer
que les vagues conjectures de lillustre Grec avaient été
confirmées singulièrement, sans que personne y prit garde,
par les dernières théories sur les nébuleuses et
les récentes découvertes cosmogoniques, je sentis que vous
ne pourriez pas empêcher vos yeux de se tourner vers la grande nébuleuse
dOrion ; je m'y attendais certainement. Vous n'y avez pas manqué,
et je fus alors certain d'avoir strictement emboîté le pas
de votre rêverie. Or, dans cette amère boutade sur Chantilly,
qui a paru hier dans le Musée, lécrivain
satirique, en faisant des allusions désobligeantes au changement
de nom du savetier quand il a chaussé le cothurne, citait un vers
latin dont
nous avons souvent causé. Je veux parler du vers :
Perdidit antiquum littera prima sonum.
Je vous avais dit qu'il avait trait à Orion, qui s'écrivait
primitivement Urion; et à cause d'une certaine acrimonie liée
à cette discussion, j'etais
sûr que vous ne laviez pas oubliée. Il était
clair, dès lors, que vous ne pouviez pas manquer d'associer les
deux idées dOrion et de Chantilly. Cette association didées,
je la vis au style du sourire qui traversa vos lèvres. Vous pensiez
à limmolation du pauvre savetier. Jusque-là, vous
aviez marché courbé en deux, mais alors je vous vis vous
redresser de toute votre hauteur. Jétais bien sûr que
vous pensiez à la pauvre petite
taille de Chantilly. Cest dans ce moment que j'interrompis vos réflexions
pour vous faire remarquer que c'etait vraiment un pauvre petit avorton
que ce Chantilly, et qu'il serait bien mieux à sa place au théâtre
des Variétés.
(E.A.-POE, double assassinat dans la rue Morgue)
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